Simone de Bollardière

À 95 ans, Simone de Bollardière a vécu plusieurs vies en une ! La femme du célèbre général, connu pour avoir été le seul général français à avoir refusé la torture pendant la guerre d’Algérie, a été une militante non-violente de tous les instants. Affable, espiègle, engagée, libre, Simone de Bollardière nous fait revivre son parcours et sa vie d’aventurière.

MAG16 : Quand êtes-vous arrivée sur les bords de la Laïta ?
Simone de Bollardière : Nous nous sommes installés ici en 1961 lorsque mon mari a pris sa retraite.

MAG16 : Qu’est-ce qui vous a attiré ici ?
Simone de Bollardière : Mon mari était militaire, ce qui nous a amené à beaucoup voyager en France mais aussi en Afrique et en Indochine.
À la retraite de mon mari, nous cherchions une maison et nous sommes tombés sur cette vieille ferme qui rappelait à mon mari son enfance à la campagne autour de Châteaubriand.

MAG16 : Et vous, d’où étiez-vous originaire ?
Simone de Bollardière : Moi, je suis Nantaise, je suis une fille de la ville ! Mais je m’adapte sans problème ce qui arrange les choses. J’ai vécu les bombardements sur Nantes. Ma famille a été sinistrée lors des bombardements américains de septembre 1943. Ma maison, qui était Place du Cirque à Nantes, a été détruite au cours de la première attaque. Nous nous sommes retrouvés à la rue du jour au lendemain. J’avais une vingtaine d’années. Nous n’avions plus rien mais nous avions la vie… Il y a eu 2 000 morts à Nantes lors de ces bombardements. Les gens qui utilisaient le tramway à ce moment-là se sont réfugiés sous notre porche. Ils sont tous morts. Moi et ma sœur étions un peu plus loin, Place Royale, et nous avons survécus. Comme quoi, si on doit mourir on meurt et si on ne doit pas on ne meurt pas. Pourquoi les Américains ont bombardé Nantes ? On n’a jamais très bien su pourquoi. Les forteresses volantes, volaient très haut, alors elles visaient grossièrement. En principe, ils devaient bombarder le port. En fait, c’est tombé en plein sur le centre de Nantes. C’est quelque chose de très constructeur en fin de compte et de très angoissant aussi.

MAG16 : Vos parents où étaient-ils au moment des bombardements ?
Simone de Bollardière : Ma mère est morte quand nous étions petits. Notre père était à la campagne au moment du bombardement qui a détruit la maison.

MAG16 : Comment avez-vous rencontré votre futur époux ?
Simone de Bollardière : Je l’ai rencontrée en 1945, quand les parachutistes sont arrivés. Il avait été parachuté en Hollande pour la libération. Ensuite, ils sont arrivés en France. Son groupe était logé dans la campagne nantaise. J’avais une amie dont la grand-mère hébergeait des parachutistes dont mon futur mari. Un jour nous avions rendez-vous pour dîner à côté du théâtre Graslin et elle est venue avec un monsieur en civil qui ne disait rien et qui manifestement était plus vieux que nous. Et voilà c’est comme cela que nous nous sommes rencontrés. Nous nous sommes vus trois fois et nous nous sommes mariés !

MAG16 : Et ensuite, qu’avez-vous fait  ?
Simone de Bollardière : Mon mari avait pour idée de quitter l’armée, car il estimait avoir assez combattu. Mais l’Indochine a été prise par les Japonais. Nous avons juste eu le temps de nous marier. Un mois et demi après, il était rappelé par les parachutistes pour partir en Indochine. Je lui ai dit : « je vous ai épousé par amour mais je n’ai jamais eu l’intention de vous garder prisonnier dans mes cotillons ». Ce n’était pas ce que nous avions prévu, mais la vie m’avait déjà appris qu’elle était compliquée et pleine d’imprévus. Mon mari est donc parti en tant que volontaire. Pendant ce temps, je retournais chez mon père en étant en-ceinte. Classique quoi !

MAG16 : Combien de temps a duré la séparation ?
Simone de Bollardière : Je l’ai rejoint quelques mois après. J’ai pris un bateau qui fonctionnait encore au charbon le « Cap Saint Jacques » pour 52 jours de voyage. Nous sommes passés par le canal de Suez, Aden, Colombo, Singapour. En route nous avons eu trois naissances. Nous mettions les nouveau-nés dans des tiroirs de commodes avec des oreillers. Car nous n’avions pas de berceau.

MAG16 : Combien de temps êtes-vous restée au Vietnam ?
Simone de Bollardière : Je suis restée un an et demi. J’ai beaucoup aimé le Vietnam. Surtout mon premier séjour car j’habitais en dehors de Saïgon au milieu de la population locale. Il y avait bien des échauffourées entre les patrouilles françaises et les Viet-Minh et, de temps en temps, j’entendais les balles qui tombaient sur le toit. Mais, je n’ai pas eu peur ! J’ai eu beaucoup plus peur des rats qui rentraient dans la maison et que j’entendais gratter sous mon oreiller.

MAG16 : Vous n’étiez pas trop esseulée ?
Simone de Bollardière : Mon mari était très souvent au Tonkin (la partie nord du Vietnam) et moi à Saïgon (au sud du Vietnam). Un jour, un commandant de la sécurité est venu voir où j’habitais et il m’a dit que je ne pouvais pas rester seule dans cette maison loin de tout. Il m’a envoyé chez des cousins à lui au Cambodge. Je suis partie à contrecœur avec ma fille aînée qui avait 3 mois. En arrivant à Phnom Penh, je suis allée à l’adresse indiquée. Mais, la famille qui devait m’héberger était rentrée en France ! Du coup je me suis installée dans un hôtel. Je suis retournée au Vietnam plus tard mais à Saïgon. J’étais avec des Français, j’avais moins de contact avec la population. Du coup, je suis beaucoup allée dans les hôpitaux pour soutenir les blessés. J’ai vu des jeunes garçons qui se sont engagés dans l’armée et que je retrouvais avec une, voire deux jambes en moins. La guerre c’est affreux.

MAG16 : C’est un conflit qui vous a particulièrement marqué semble-t’il  ?
Simone de Bollardière : Oui, nous aurions mieux fait de ne pas faire cette guerre-là. C’est tout ce que je peux vous dire ! J’ai aimé ce Pays. Les Vietnamiens avaient raison de se battre contre nous ! Il fallait leur laisser la liberté. De quel droit, nous les Français allons commander des populations en Indochine, des populations en Afrique. Mais pour qui se prend- on ? On fait preuve de beaucoup de prétention je trouve.

MAG16 : Ensuite, vous rentrez en France  ?
Simone de Bollardière : Oui et puis il y a eu la guerre d’Algérie. Moi j’étais rentrée à Nantes, je ne suis pas allée en Algérie pendant le conflit. Mon mari a eu des problèmes là-bas, notamment avec le Général Massu, car il a refusé de pratiquer la torture. Il a soutenu Jean-Jacques Servan-Schrei-ber, le directeur de l’Express, qui était sous ses ordres et qui dénonçait les exactions dans le magazine. Encore une fois, la France aurait dû faire autrement !

MAG16 : Quelles ont été les conséquences pour votre mari ?
Simone de Bollardière: Il a été poursuivi et il a été mis en forteresse, c’est-à-dire qu’il a été mis en isolement dans un régiment pendant deux mois. Mais il a reçu beaucoup de courriers de soutien, des livres et même des gâteaux.

MAG16 : C’est le début de votre engagement en faveur de la non-violence ?
Simone de Bollardière : Moi j’étais non-violente depuis déjà longtemps ! C’est moi qui ai conta-miné mon mari ! Pendant tous ces événements de guerre, je lisais Martin Luther King. Il y a eu Gandhi et il y a eu Martin Luther King ! La violence n’a jamais rien arrangé. Au contraire, la violence déclenche la violence. Le seul moyen de lutter contre elle c’est par la non-violence et le respect de l’autre.

MAG16 : Quand vous observez le monde aujourd’hui, quel regard portez-vous ?
Simone de Bollardière : Ce n’est pas réjouissant ! Il ne s’arrange pas ! La violence est partout, elle est à chaque coin de rue. Deux voitures qui se tamponnent à un carrefour et ça monte ! La violence est dans l’Homme. Il faut être conscient qu’elle est en nous et que nous devons la maîtriser et l’empêcher de se manifester. C’est par la discussion qu’on règle les choses.

MAG16 : Cet engagement vous a amené à soutenir les objecteurs de conscience ? Pourquoi ?
Simone de Bollardière : Je suis allée témoigner dans beaucoup de tribunaux partout en France car je soutenais les gens qui refusaient de faire leur service militaire pour ne pas faire la guerre. Comme moi, ils refusaient qu’on résolve un problème par la violence. Il faut être courageux pour être objecteurs, parce que votre père a fait la guerre et il ne peut pas comprendre la décision que vous prenez sans faire une révolution intellectuelle !

MAG16 : Ici aussi vous vous êtes battue ! Mais cette fois pour la gare de Quimperlé. Expliquez-nous cet engagement ?
Simone de Bollardière : Oui, je me suis battue pour la sauvegarde de la gare de Quimperlé, avec mon ami Daniel Picol qui était cheminot. Pour les étudiants, pour les personnes âgées comme moi, le train est absolument indispensable ! On préfère tous voir nos étudiants dans le train plutôt que de les voir sur la route dans des voitures pourries ! C’est ça que j’ai voulu défendre donc j’ai participé à des blocages de train ! Pendant 52 dimanches, je suis allée à la gare de Quimperlé à 11h55 pour arrêter le train. Quelques fois nous étions très nombreux, d’autres fois moins mais le train s’arrêtait quand même ! Je suis aussi allée au Ministère des transports avec Louis Le Pensec et les Maires de Quimperlé et Rosporden pour défendre notre cause.

MAG16 : Ces blocages, ne vous ont pas posés de problème ?
Simone de Bollardière : J’ai été condamnée à payer une amende mais j’ai refusé de la payer quitte à aller en prison ! Au final, je n’ai pas été arrêtée car Mitterrand a été élu et il a amnistié toutes les petites peines. J’ai eu de la chance. Ce sont des périodes agitées, mais ça rend la vie intéressante.

MAG16 : Quel est votre souvenir le plus marquant sur le territoire ?
Simone de Bollardière : Le combat de la gare m’a marqué. Tous les dimanches au moment du repas, je laissais ma famille pour partir avec mon drapeau « La Gare de Quimperlé Vivra ».

MAG16 : Quel est votre lieu préféré dans le Pays de Quimperlé ?
Simone de Bollardière : J’aime Quimperlé ! c’est une ville très vivante ! Mes enfants étaient scolarisés à Quimperlé. Aujourd’hui, j’y vais moins car je ne conduis plus mais j’aime cette ville.

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