Sébastien Josse

De la Méditerranée et sa Riviera aux rives sauvages de l’Océan Atlantique et de la côte bretonne, rien ne prédestinait le navigateur cloharsien, Sébastien Josse, à devenir un des grands noms de la voile et de la course au large. Si la curiosité (au début) et le plaisir de naviguer l’ont conduit à se faire une place parmi les meilleurs, c’est surtout une motivation à toute épreuve et un travail permanent qui ont fait de lui, un navigateur émérite reconnu à travers le monde. C’est entre deux eaux, celles de l’embouchure de la Laïta et de l’océan pour décors, qu’il a choisi de poser l’ancre, il y a dizaine d’années, avec sa famille.

Mag16 : Comment est née cette passion pour la mer, la navigation ?
Sébastien Josse : Je suis originaire de Nice, et mon papa avait acheté un petit bateau de 8 mètres pour les vacances. On partait tous les étés, durant 2 mois, en croisière en direction de la Corse. J’ai mes premiers souvenirs de nuit en mer, lors de nos premières traversées entre Nice et Calvi. Et cela jusqu’à l’âge de 17 ans. Mais c’est au départ davantage le monde aquatique que la voile qui m’a plu. À l’époque, mon frère et moi, on s’était un peu essayé à la compétition dans le sud. Je suivais des études dans la mécanique navale et je pensais travailler dans un chantier.
Mais c’est en Bretagne, à Port-la-Forêt, que le bateau de compétition a vraiment commencé avec le Challenge Espoir Crédit Agricole pour les moins de 25 ans.

Mag16 : La participation à ce challenge marque en effet un tournant…
SJ : La première année, je finis 2e et je me dis pourquoi pas persévérer…  Et l’année suivante (en 1998) je remporte la victoire avec, à la clef, un Figaro Bénéteau, un voilier monocoque pour apprendre à faire de la régate au large. Avec ce bateau, j’ai pu faire différentes compétitions sous les couleurs du Crédit Agricole et devenir champion de France.
En venant faire mon service militaire à Brest, je voulais me rapprocher de cet univers que je ne connaissais pas, où Jean Le Cam, Michel Desjoyeaux, Roland Jourdain, qui faisaient alors partie du Pôle France, me prêtaient leur bateau pour m’entraîner.

Mag16 : Vous avez été formé au Pôle France Finistère Course au Large basé à Port-la-Forêt tout près d’ici…
SJ : C’est le seul centre au monde qui forme les navigateurs, à la course au large en solitaire. C’est une véritable école où on suit des formations sur la météorologie, la sophrologie, la navigation à un rythme soutenu. C’est un centre de haut niveau comme l’Insep à Paris, sauf que c’est dédié à la course au large. Tous les plus grands marins, Armel Le Cléac’h, François Gabart…, sont passés par cette filière. Là-bas, on peut profiter de l’expérience et de l’expertise des grands noms de la voile. Avec les pôles de Lorient et de La Rochelle, les meilleurs skippeurs sont issus de ces centres-là. C’est aussi ce qui fait l’excellence et la réputation de la voile française. Depuis l’époque d’Éric Tabarly, nous sommes les seuls à faire du solitaire. L’école française reste une référence dans le monde.

Mag16 : À vos débuts, vous confirmez votre goût pour la compétition et votre talent de navigateur, avec une 2e place de la Solitaire du Figaro en 2001, et dans la foulée en 2002, une victoire au Trophée Jules Verne avec Bruno Peyron… Si vous deviez en choisir une, quelle serait votre plus belle victoire ?
SJ : Plus qu’une course, c’est d’avoir pu enchaîner tous les projets de haut niveau. C’est le plus difficile dans ce métier, rester dans une dynamique pour accumuler de l’expérience en mer et relever de nouveaux challenges. Aujourd’hui, mon parcours a tellement été riche et varié que je peux naviguer autant sur multicoques qu’en solitaire ou en équipe. La reconnaissance est en soi une victoire tout aussi précieuse, comme le jour où un équipage hollandais m’a appelé pour faire un tour du monde, The Ocean Race. C’était la première fois qu’un français était sollicité pour rejoindre une équipe étrangère.

Mag16 : Quelle est selon vous la course en mer la plus difficile au monde ?
SJ : Le Vendée Globe reste à mes yeux, la course la plus exigeante. Vous êtes deux mois et demi en mer, tout seul, à en découdre avec des mers hostiles et dures. C’est pour cela qu’on la surnomme l’Everest de la mer. C’est difficile physiquement et mentalement.

Mag16 : L’art de naviguer, c’est beaucoup de techniques, une bonne condition physique, une bonne dose de chance (face aux avaries), de l’instinct, de l’intuition ? En d’autres termes, qu’est-ce qui fait un bon navigateur ou une bonne navigatrice ?
SJ : La chance, non. On ne parle pas de chance, mais de réussite dans le milieu de la navigation. Derrière les belles images que véhiculent les médias, les gens ne soupçonnent pas le travail qu’exigent la voile et la course au large. Il y a toute une préparation physique et mentale comme pour tout athlète de haut niveau, avec la mécanique en plus. Il faut à peu-près trois ans pour préparer une grande compétition entre la formation d’une équipe, la construction du bateau, les tests en mer et enfin les épreuves qualificatives. Dans les courses en solitaire, il faut surtout bien s’entourer, avoir un bon team manager, des bons préparateurs, un architecte, des ingénieurs… La conception du bateau, c’est 70 % de la réussite du projet. Sans une équipe, le skippeur n’est rien.

Mag16 : Un navigateur vous a inspiré plus qu’un autre ?
SJ : Chacun a sa manière de fonctionner. On essaye de s’inspirer les uns des autres. Certains sont très cartésiens. Il y a beaucoup de feelings et chaque personnalité arrive à s’exprimer. Il faut être très observateur et être capable d’anticiper, d’interpréter certains paramètres comme les conditions climatiques.

Mag16 : Vous avez plus de plaisir à naviguer sur l’Océan atlantique plutôt qu’en Méditerranée ?
SJ : Ce n’est pas du tout pareil… L’Océan Atlantique, pour moi, c’est la compétition. Après j’ai goûté aux joies de la croisière en Méditerranée, c’est complètement différent. Par contre faire de la compétition en Méditerranée, c’est l’enfer. Il y a des vents qui tournent dans tous les sens, des effets côtiers et thermiques. C’est beaucoup plus facile de « comprendre la météo », ici.

Mag16 : Vos plus beaux souvenirs de navigateur ? Des instants particuliers ?
SJ : Il y a le Cap Horn. Avant d’y arriver, on a déjà passé un mois et demi en mer. C’est un simple bout de cailloux en soi, mais qui est mythique. C’est un lieu emblématique et particulier pour tous les marins, il y a eu tellement de naufrages à cet endroit-là où la météo peut être vraiment très mauvaise. Le raz de Sein est parfois plus compliqué à passer, ou la mer d’Irlande où l’on peut se faire tabasser. Mais ça reste le Cap Horn, c’est un mythe.

Mag16 : Partir plusieurs mois en mer fait partie du métier, la famille reste toutefois un soutien essentiel pour vous ? Comment gère-t-on la solitude en mer ?
SJ : En réalité, on est conditionné et formé pour gérer cette solitude pendant la course. On est dans notre bulle, et au final, quand on appelle, c’est davantage pour rassurer nos proches que l’inverse. Notre fatigue et nos états d’âme ne sont pas gérables à terre par quelqu’un qui décroche un téléphone… En général, les navigateurs ont une tête assez solide, même si tout champion connaît des petits coups de mou.

Mag16 : L’année dernière, vous avez participé à la course The Ocean Race, aux côtés de Marie Riou, notamment… Les navigatrices restent assez rares dans la discipline. Comment l’expliquez-vous ?
SJ : C’est très éprouvant la course au large. Marie Riou est issue de la voile olympique. Elle est triple championne du monde sur Nacra 17, un catamaran de sport. Cela fait 18 ans qu’elle est dans ce circuit-là, mais c’est très peu médiatisé. Naturellement, les navigateurs de l’olympisme s’orientent à partir de 30/35 ans vers la course au large. On essaye maintenant d’avoir de la parité dans les équipages, mais elles sont peu nombreuses à pouvoir venir faire de la course au large. Marie Riou, Clarisse Crémer, Sam Davies en font partie. Après il y a plus de femmes dans les petites séries. Dans les années à venir, on pourrait voir davantage de navigatrices sur des courses comme le Vendée Globe.

Mag16 : Vous évoquiez dans votre parcours le fait d’avoir pu profiter dans votre formation des conseils de navigateurs. Vous-même, vous êtes dans cette envie de transmettre ?
SJ : Oui, directement auprès des skippeurs. Par exemple, la semaine dernière (en mars), je suis allé au Portugal pour entraîner un skippeur qui débute sur les courses au large en solitaire et qui va faire la Route du Rhum en fin d’année. La théorie ne suffit pas, la transmission passe aussi par l’accompagnement dans la pratique, afin de connaître les limites du bateau. C’est de plus en plus cela le partage d’expériences. 

Mag16 : Des projets en cours ?
SJ : Là, actuellement, je travaille en tant que technico-naviguant sur le bateau d’Armel Le Cléac’h, en l’occurrence un trimaran de 32 mètres conçu pour sa participation à la Route du Rhum en novembre prochain. Je m’occupe des aspects performances, notamment autour de la voile, et de suivre les évolutions. À partir du mois d’avril, le bateau sera mis à l’eau et on pourra démarrer les entraînements quotidiens. On fait ce qu’on appelle du « faux solitaire », c’est-à-dire que je serais présent en tant que co-skippeur sur le trimaran pour assurer une sécurité au cas où… Mais d’être à nouveau au départ d’un Vendée Globe ne me déplairait pas…

Mag16 : vous êtes originaire de Nice et pourtant c’est la Bretagne que vous avez choisie, plus précisément Clohars-Carnoët, comme port d’attache…. Le hasard ou un coup de cœur ?
SJ : J’ai choisi cet endroit parce que c’est entre Port-la-Forêt et Lorient où se trouvent les cellules de formation. Ce sont des microcosmes où tout le monde se connaît, et ça ne m’a jamais trop plu « d’être au cœur du village ». Être à mi-chemin entre les deux, me permet aussi de préserver mon intimité familiale.

Mag16 : Enfin, pour conclure, quel est votre lieu préféré sur le territoire ?
SJ : Ici, au Pouldu, avec le point de vue sur la Laïta. C’est une région riche en paysages, avec la possibilité de profiter de la forêt comme de l’océan et des rivières.

Votre navigateur est dépassé !

Mettez à jour votre navigateur pour voir ce site internet correctement. Mettre à jour mon navigateur

×