Michel Grossard

Tout le monde connaît sa bobine du côté de Moëlan-sur-Mer ! Michel Grossard est à la tête du cinéma associatif Le Kerfany depuis 2014. Cet enthousiaste de nature défend farouchement un cinéma indépendant où la priorité est d’offrir aux spectateurs le meilleur accueil possible. Rencontre.

MAG16 : Comment êtes-vous arrivé sur le territoire ?
Michel Grossard : Je suis arrivé en septembre 1980, un an après mon épouse qui venait de prendre la succession de son cousin, qui avait lui-même pris la succession de son grand-père au phare de Doëlan. C’était la gardienne de phare de Doëlan, donc nous avons habité pendant 34 ans la maison au pied du phare rouge. Moi je suis né à Paris, sur une île, l’île de la cité, donc il y avait déjà un petit côté maritime ! Ou plutôt fluvial. J’ai suivi mon épouse lorsque j’ai obtenu ma mutation. Je travaillais à France Télécom, j’étais dans le centre de recherche des Télécoms.
Progressivement, je suis passé au commercial et nous avons créé les premières relations avec les grandes entreprises puis j’ai géré des équipes de commerciaux pour les grandes entreprises. Et ça jusqu’à la retraite en 2004.

MAG16 : Et c’est là que vous avez décidé de vous investir dans le milieu associatif ?
Michel Grossard : Non, j’ai commencé avant ! J’ai toujours été impliqué. Avec ma femme, nous ne voulions pas d’enfant à Paris. Quand nous sommes arrivés ici, nous avons eu nos enfants et ils ont été à l’école. C’est à partir de là que nous nous sommes impliqués dans l’association des parents d’élèves, dont ma femme a été Présidente d’ailleurs. Et puis petit à petit, je me suis engagé dans l’association de danse Arabesque, dont je suis toujours le Président. Et puis, ensuite je me suis investi dans un groupe de travail mis en place par la mairie pour participer à la création de la salle de spectacle l’Ellipse à Moëlan-sur-Mer. Et c’est là que j’ai rencontré Jean Stère avec qui j’ai eu pas mal d’affinités. Et c’est lui qui m’a incité à le rejoindre au cinéma de Moëlan.

MAG16 : Ce n’est quand même pas un hasard ?
Michel Grossard : Non, j’ai toujours été passionné par le milieu du cinéma. J’ai eu ma première caméra à 14 ans. Une Bell et Howell qu’on remontait mécaniquement. Avec mes copains du lycée, nous avions tourné des petits courts-métrages en noir et blanc avec les Mods et les rockers. J’aime l’image, j’aime les scénarios,… Je ne suis pas un cinéphile extrêmement pointu mais je m’y connais un peu quand même et j’apprécie les bons films.

MAG16 : Vous souvenez-vous du premier film que vous avez vu au cinéma ?
Michel Grossard : Je ne me souviens pas du premier film que j’ai vu mais je me souviens qu’à l’école lorsque j’étais en primaire, nous avions une séance de cinéma par an avec une orange. C’était un cinéma qui s’appelait le Capitole à Villejuif. J’habitais en banlieue et je me souviens que, pour nous, c’était magique !

MAG16 : Et alors en intégrant le cinéma de Moëlan, que faîtes-vous ?
Michel Grossard : Comme bénévole, il y a trois types de poste : projectionniste, responsable de caisse et contrôleur de salle. Moi j’étais projectionniste. Pour cela, je suis allé faire des formations dans un multiplex. Et puis Jean Stère m’a également demandé d’animer les débats qui parfois suivaient les projections. C’est ainsi que, depuis 2004, j’anime l’ensemble des débats, des rencontres,…

MAG16 : Et puis, vous devenez président en 2014, pouvez-vous nous rappeler l’histoire de ce cinéma ?
Michel Grossard : C’est un cinéma de patronage au départ. L’association a été créée le 17 avril 1930. Donc cette année, nous imaginions fêter les 90 ans du cinéma, que nous aurions couplé avec l’extension du hall que nous allons réaliser. Mais tout a été décalé à cause du confinement. Donc en 1930, l’association Les gars de Saint-Philibert voit le jour. Depuis le cinéma n’a jamais cessé de fonctionner même pendant la guerre puisque les Allemands avaient réquisitionné la salle. À l’époque, le cinéma qui n’était pas à l’emplacement actuel fonctionnait bien. Mais avec le temps, le bâtiment se dégradait et ne répondait plus aux normes, il fallait donc faire quelque chose. Une rénovation a été envisagée mais très vite, nous nous sommes aperçus que la rénovation n’était pas une solution viable. Donc, Jean Stère a voulu construire au nom de l’association un nouveau bâtiment. Ce qui constitue un sacré challenge ! car construire un cinéma quand on est une association nécessite d’être bien suivi. Nous n’avions pas les fonds nécessaires, même si nous avions un peu d’argent et que l’aide du CNC n’est pas négligeable. Il fallait quand même convaincre la Région, le Département, la commune et l’agglomération. Tout le monde nous a aidés et nous avons donc pu construire la salle, ce qui est assez rare dans le monde du cinéma.
Le cinéma a coûté 800 000 € et la majorité de la somme a été mise dans la salle et dans la qualité pour privilégier le confort du spectateur. Ce qui nous intéresse, c’est la qualité. La qualité de l’accueil, le sourire, la petite discussion avec les gens, garder les prix les plus bas que l’on puisse avoir, avoir un bel écran, une belle salle de projection….

MAG16 : Quelle est la particularité du cinéma associatif ?
Michel Grossard : La première chose est qu’il faut absolument que nous ayons des recettes car nous avons deux salariées. Pour cela nous essayons de diversifier le plus possible l’offre cinématographique. Notre programmation est très éclectique, ce qui permet de toucher tous les publics. Et puis nous cherchons toujours à nous diversifier. C’est comme ça que nous nous sommes mis à faire du direct avec la retransmission d’opéras, de ballets. Nous avons un fonctionnement collégial. Il y a toute une équipe avec quatre programmatrices qui ont des profils assez différents et complémentaires et qui choisissent parmi les 700 films qui sortent chaque année.

MAG16 : Combien avez-vous de bénévoles pour faire fonctionner le cinéma ?
Michel Grossard : Il y a 54 bénévoles. C’est la bonne jauge pour fonctionner. Il ne faut pas être trop peu pour pas que ça revienne trop souvent mais il ne faut pas être trop nombreux non plus sinon on oublie le savoir-faire. Chaque bénévole fait 3 à 4 services par mois. Ce qui n’est pas énorme.

MAG16 : Vous avez trouvé la bonne recette semble-t-il ! Le Kerfany se porte plutôt bien en thermes de fréquentation, vous confirmez ?
Michel Grossard : Oui, l’an dernier, pour la deuxième année consécutive, nous avons été le premier cinéma mono-écran de Bretagne en nombre d’entrées avec 56 549 entrées. La programmation compte beaucoup, le bouche-à-oreille sur la qualité aussi. Les gens disent qu’ils sont bien dans ce cinéma, qu’ils sont bien accueillis, les tarifs sont corrects, nous ne les avons pas augmentés depuis 10 ans.

MAG16 : D’ailleurs, le cinéma municipal de Quimperlé La Bobine se porte bien lui aussi, c’est plutôt bien pour le territoire, non ?
Michel Grossard : Oui, nous sommes bien souvent devant d’autres cinémas qui ont pourtant deux salles de projection. Ce sont deux cinémas qui marchent très bien et qui sont complémentaires dans la façon de fonctionner. C’est une chance pour le territoire d’avoir ces deux cinémas. Ça empêche un multiplex de venir s’installer dans le coin.

MAG16 : Vous évoquez les multiplex, comment fait-on pour résister à ces mastodontes ?
Michel Grossard : Dans un multiplex, les gens ont du choix et ils savent qu’ils vont dans un endroit où ils vont dépenser beaucoup plus que le ticket d’entrée, qui est déjà plus élevé que chez nous. Il y a tout pour inciter les gens à acheter de la confiserie notamment. C’est d’ailleurs là-dessus qu’ils font une grande partie de leur marge. Notre philosophie est de privilégier les tarifs bas et la qualité d’accueil. La salle est toujours propre, les toilettes aussi.
Et puis, les gens aiment bien dire qu’ils vont dans leur petit cinéma associatif, c’est important pour eux d’aider l’association à vivre et à faire en sorte que le cinéma soit pérenne.

MAG16 : Votre association réalise un vrai travail en direction des scolaires, c’est important pour vous ?
Michel Grossard : Oui, le scolaire est d’une importance capitale pour nous. Il est inscrit dans nos statuts et nous avons d’ailleurs recruté une salariée, Émilie, qui s’occupe essentiellement de la programmation scolaire. Il y a deux programmes scolaires Cinécole et École et cinéma. Émilie participe à l’élaboration du programme Cinécole. Elle va même beaucoup plus loin puisqu’à la rentrée, nous proposons aux instituteurs de venir voir des bandes annonces de films que nous allons projeter. Ensuite, nous leur demandons ce dont ils ont besoin comme outils pédagogiques et Émilie les prépare. Elle donne aussi à chaque école des dossiers complets sur les films, une clef USB qui compile tout.
Et puis nous avons la chance, et tous les autres cinémas nous jalousent, que la Communauté d’agglomération paye le transport en car des classes pour venir au cinéma. C’est une chance exceptionnelle pour les scolaires car sans ce dispositif, les élèves de Querrien par exemple n’iraient ni à la Bobine, ni chez nous ! Ils seraient défavorisés par rapport aux écoles plus proches. C’est un plus pour les enfants. D’ailleurs, on le voit dans les chiffres, nous avons accueilli 13 000 scolaires en 2019 quand ailleurs, la fréquentation scolaire tourne plutôt autour de 2000-3000.
Sans la prise en charge des transports par l’agglomération, nous aurions beaucoup moins de scolaires. Ce serait dommage pour les enfants.

MAG16 : Justement, les jeunes consomment de plus en plus de films via les plateformes de streaming sur des écrans pas toujours très grands, comment les attirez-vous au cinéma ?
Michel Grossard : C’est le problème de tous les cinémas. Déjà, nous avons mis en place, un vendredi par mois, les vendredis de l’épouvante. Et ça marche plutôt bien car les jeunes adorent ça. Sinon il faut avoir les Blockbusters comme les Marvels assez tôt pour que les jeunes viennent les voir chez nous. Et puis, l’éducation à l’image qui a toujours été une priorité pour nous. Surtout avec les nouveaux outils numériques. Un film, ça ne se regarde pas sur un smartphone, ça se regarde dans de bonnes conditions, dans une salle bien équipée. C’est quand même autre chose quand on le voit au cinéma. L’émotion est différente.

MAG16 : Alors quel film fallait-il voir au cinéma cette année ?
Michel Grossard : Ça dépend ce que l’on aime ! Joker il faut le voir, l’acteur est exceptionnel ! Les misérables c’est aussi un film qui ne laisse pas indifférent.

MAG16 : Quel est votre souvenir le plus marquant sur le territoire ?
Michel Grossard : C’est lorsque nous avons passé C’est dur d’être aimé par des cons juste après les attentats de Charlie Hebdo. Jean Stère était ami avec Wolinski. C’est d’ailleurs lui qui, à l’origine, a dessiné le logo du cinéma avec l’hippocampe. Donc, l’émotion était d’autant plus grande dans la salle.

MAG16 : Quel est votre lieu préféré sur le territoire ?
Michel Grossard : C’est Doëlan. C’est magique Doëlan. Pour l’anecdote, la première fois que je suis venu voir ma femme à Doëlan, nous n’étions pas encore mariés. La nuit a été mémorable car j’ai dormi dans le poulailler de sa grand-mère car je n’étais pas autorisé à dormir dans la maison avant le mariage.

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