Mag16 : Comment est venue l’idée de reprendre une exploitation de mytiliculture ?
Leslie Romagné : Si on reprend la genèse, cette envie remonte à l’époque où nous vivions en Guadeloupe. Nous y sommes restés cinq ans. Et durant cette période, nous avons créé un sentier sous-marin à l’îlet Gosier. C’est une expérience qui nous a énormément plu et donné l’envie de travailler ensemble dans le milieu maritime, et un jour, pourquoi pas, de monter notre affaire. Et puis nous sommes revenus en France. Julien était ingénieur dans les bateaux de course au large, entre Lorient et La Trinité-sur-Mer. Et moi j’étais à l’Observatoire du Plancton, à Port-Louis, en tant qu’animatrice scientifique pour l’association. Et, crise de la quarantaine, mon mari a eu envie de se reconvertir professionnellement. Il songe d’abord à reprendre une exploitation d’huîtres. Un chantier était alors à vendre sur le Belon, sauf que nous n’étions pas prêts. Cela a été une grosse déception qui nous a finalement motivés de plus belle, pour suivre des formations en conchyliculture et préparer notre projet de reprise ou d’installation de concessions. Nous étions alors toujours fixés sur les huîtres.
Mag16 : Mais comment s’est fait ce choix de la Laïta ?
Leslie Romagné : Plutôt que de chercher un chantier sur le golfe, sur l’Étel ou le Bélon, on s’est dit pourquoi ne pas essayer de trouver un site d’exploitation à proximité de chez nous, et donc de la Laïta. Et c’est finalement, elle, qui a décidé de la suite de l’aventure, puisque seule la culture des moules est autorisée sur la Laïta. Huîtres ou moules, peu importe, cela ne changeait rien à notre désir de lancer notre propre exploitation agricole. Nous avons donc acheté nos premières concessions sur la Laïta en 2017 et fait notre première récolte en juillet 2018.
Mag16 : Vous possédez également des concessions à Groix ?
Leslie Romagné : Oui. Et c’est par le plus pur hasard que nous avons pu les acquérir. Dans le cadre de sa formation en conchyliculture, Julien devait suivre un stage dans une exploitation à Groix. Et l’exploitant des « Moules de Groix » voulait justement vendre ses concessions, son bateau et son matériel. C’était une opportunité incroyable qui nous permettait de nous lancer à 100 % dans la culture, et de devenir mytiliculteurs à temps plein, sur deux sortes de moules. Les Moules de Groix en pleine mer avec 8 hectares, et celles de la Laïta avec 2 hectares en eau saumâtre (mélange d’eau douce et d’eau de mer). En termes de volumes de moules, cela correspond à environ 85 tonnes sur Groix contre 5 pour la Laïta.
Mag16 : Quelles techniques utilisez-vous ?
Leslie Romagné : Il y a trois grandes techniques pour cultiver les moules. La plus connue, c’est celle de la Bouchot, à partir de pieux de bois et de cordage de moules amarrés dessus. A Groix, nous suivons la technique de la filière de pleine mer où les moules, en permanence immergées, ne subissent pas la marée et se développent sur des aussières tenues par des flotteurs en surface. Il y a beaucoup de travail autour du captage des larves, pour la mise en production, l’entretien des parcs. La troisième technique, c’est celle des moules de parcs qui sont, soit directement semées sur le sol à l’état de naissains, soit cultivées en poche sur table comme les huîtres. On a opté pour cette dernière technique, en poche et sur table, pour s’adapter à la Laïta qui est une rivière très sédimenteuse. L’usage de pieux de bois n’était pas envisageable car il aurait eu pour effet de stopper le mouvement naturel des bancs de sable, et de créer un ensablement. Nous déplaçons régulièrement nos tables pour éviter justement ce risque.
Mag16 : La culture de la moule a été abandonnée en 1974 sur la Laïta, êtes-vous repartis d’une souche des moules d’origine ou d’ailleurs ?
Leslie Romagné : On aurait bien aimé repartir de la moule d’origine. Mais contrairement aux huîtres en écloserie, pour les moules, c’est forcément un captage des larves naturellement dans le milieu. Il faut avoir un site de captage ou acheter les bébés moules chez d’autres mytiliculteurs. À l’époque où nous avons relancé la culture des moules de la Laïta, nous avons préféré au début opter pour des larves issues des exploitations des îles d’Houat et de Dumet. Notre souhait était que nos moules restent bretonnes. Au bout de trois ans et au fil de l’expérience, nous avons petit à petit intégré des larves de moules de Groix, jusqu’à arriver, depuis cette année, à 100 % de moules de la Laïta issues de notre propre captage, qui se trouve à l’embouchure du fleuve côtier. Nous sommes fiers de pouvoir proposer, cette année, des moules vraiment caractéristiques de la région et de son environnement.
Mag16 : C’était important pour vous de redonner vie à une production abandonnée sur la Laïta ?
Leslie Romagné : Cela a été très moteur pour nous. Au début, nous avons été portés par l’engouement des habitants, des anciens qui ont connu la vie mytilicultrice autour de la Laïta, avec sa dizaine d’exploitants de Guidel à Clohars-Carnoët, avant son interruption.Ils nous ont racontés les techniques d’autrefois, quand les mytiliculteurs plongeaient dans le chenal pour recueillir les moules par exemple… On était pris dans l’histoire du site. Mais paradoxalement, malgré cet enthousiasme, les habitants ont au départ boudé nos premières récoltes sur les marchés locaux. Il y avait encore le souvenir de la Laïta polluée qui planait et qui avait été un vrai traumatisme pour beaucoup. Et il nous a fallu d’abord rassurer, réhabiliter l’image dégradée des moules de la Laïta auprès de la population locale.
Mag16 : La Laïta est soumise à des contrôles sanitaires très stricts…
Leslie Romagné : On avait fait de multiples analyses pour être sûrs de la qualité de l’eau avant de relancer la production. Une qualité irréprochable sans laquelle nous n’aurions pas l’agrément des services sanitaires. On a fait deux ans d’analyse avec un prélèvement tous les 15 jours sur les sédiments, les coques et l’eau ! Il y a un suivi très régulier sur toutes les rias. La pollution qu’il y a eu dans les années 70, n’existe plus et ne peut pas se reproduire dès l’instant où il y a aujourd’hui des stations d’épuration qui permettent une gestion saine et pérenne de la qualité de nos eaux de rivières. Il faut également savoir que les moules de la Laïta, contrairement aux moules de pleine mer de Groix, ont l’obligation de passer en bassin de purification avant leur vente aux consommateurs. La traçabilité de nos produits est le gage de leur qualité.
Mag16 : Votre bagage scientifique est un atout pour gérer une telle exploitation ?
Leslie Romagné : Oui, cela m’a beaucoup aidé, car c’est un peu le parcours du combattant pour s’installer en conchyliculture. Et c’est surtout que j’avais la connaissance des réseaux de suivi par l’Ifremer, notamment pour la microbiologie. Des réseaux administratifs aussi, nous avons beaucoup d’interlocuteurs dans l’élaboration du projet, que ce soit les services vétérinaires, les affaires maritimes, les communes…
Mag16 : Cette entreprise, c’est aussi une affaire familiale avec votre époux, Julien. Comment se répartissent les rôles ?
Leslie Romagné : Chacun a son site de production. Julien s’occupe du site de Groix avec deux salariés. Pour ma part, je gère les concessions de la Laïta où la production est beaucoup plus saisonnière, de juin à octobre, avec les pêches, les ventes, la remise des moules sur les parcs. Et le reste de l’année, j’entretiens ces parcs, le matériel. Je m’occupe de toute la comptabilité de l’entreprise et des dossiers administratifs, comme les agréments sanitaires qui sont une obligation tous les ans pour continuer d’exploiter nos concessions, les demandes de labellisation Bio par Ecocert, mais aussi de subventions qui sont essentielles et même vitales pour les agriculteurs de la mer, comme de la terre.
Mag16 : C’est un métier difficile pour les femmes ?
Leslie Romagné : C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de femmes en mytiliculture. C’est un milieu qui est assez rude quand il faut travailler dans le froid, les mains dans l’eau et porter des charges lourdes. Les horaires de travail sont en plus très variables parce qu’on suit la marée. C’est aussi de la gestion familiale avec les enfants dont il faut s’occuper tout en menant parallèlement son activité professionnelle, aller sur les parcs à moules, sur les marchés, auprès des clients…
Mag16 : Être agriculteurs de la mer, c’est aussi avoir une démarche coresponsable pour vous…
Leslie Romagné : Nous essayons de limiter au maximum l’utilisation du plastique. Par exemple, pour nos bébés moules de pleine mer à Groix, au lieu de les remettre dans un filet plastique sur un cordage, on a opté pour des filets en coton qui se dégradent certes plus vite mais ne polluent pas les eaux. J’ai entrepris également depuis deux ans un projet de recherches, pour que les bébés moules de la Laïta puissent à terme être mis dans des poches à partir de matériaux biosourcés, d’origine végétale à base d’algues ou de féculents de pommes de terre. C’est un projet qui prend du temps pour trouver le bon matériau qui saura résister suffisamment à la biodégradation de l’eau. Mais l’impact sur son environnement restera neutre, et ces poches pourront même être compostables. C’est une démarche sur le long terme, d’élaboration du produit biosourcé (avec de nombreux tests), d’industrialisation pour trouver l’entrepreneur qui le fabriquera, et enfin de sensibilisation pour fédérer d’autres conchyliculteurs autour de ce projet et ces nouveaux usages.
Mag16 : Vous produisez des moules de pleine mer à Groix, et d’eau saumâtre sur l’entrant de la Laïta, quelles sont leurs caractéristiques et différences ?
Leslie Romagné : Ce sont deux produits qui, après leur pousse entre un an et 18 mois, vont être différents de par leur taille. Celles de Groix sont immergées en permanence dans l’eau, et vont avoir une croissance plus importante. On va donc avoir une coquille plus fine (car elle ne subit pas la marée) mais une moule plus grosse en taille de coquille que celle de la Laïta. Au niveau gustatif, avec le brassage de l’eau douce, les moules de la Laïta développent un goût plus fin, moins iodé contrairement à celles de Groix. Quand on la mange cru celle de Groix, c’est quasiment une huître. Ça explose en iode et en sel dans la bouche. On peut ainsi, contenter tous les goûts. L’été dernier, sur les marchés, les gens se sont enfin réappropriés les moules de la Laïta…
Mag16 : La meilleure saison pour les déguster et où peut-on les acheter ?
Leslie Romagné : Sur la Laïta, de juillet à octobre, voire même jusqu’à décembre. Pour celles de Groix, on pourrait quasiment les déguster toute l’année. En avril, mai, les moules ont la particularité d’être laiteuses, un peu « farineuses » car c’est la période de reproduction. Les clients peuvent venir les acheter sur les marchés de Clohars-Carnoët, le samedi matin, de juillet à octobre, et de Guidel plages, le mercredi soir, en juillet et en août. Les Huîtres Morvan proposent également les moules de la Laïta, l’été, sur leurs étals sur les marchés où ils sont présents. Le réseau Poiscaille (poiscaille.fr) aussi, est un partenaire important qui distribue nos deuxsortes de moules.
Mag16 : Vous travaillez avec les restaurateurs locaux ?
Leslie Romagné : Oui, il y a « L’Amphitryon » à Lorient qui est une adresse très connue, et qui propose dans sa carte quelques plats avec nos moules de Groix et de la Laïta. Nous aimerions vraiment travailler avec d’autres restaurateurs locaux. Pour que nos produits se fassent davantage connaître, nous avons en projet avec Quimperlé Communauté d’organiser des randonnées gourmandes à l’occasion desquelles les habitants et les touristes pourront aller à la rencontre des producteurs et conchyliculteurs locaux pour déguster leurs produits.
Mag16 : Quel est votre lieu préféré sur le territoire ?
Leslie Romagné : Le lieu culturel, pour se balader, pour faire la fête… ? Mais y’a plein de lieux sympas (rires) ! L’anse de Stervilin… Il y a vraiment une vue imprenable sur l’embouchure de la Laïta à marée basse avec le banc de sable de Guidel. C’est tellement beau avec l’île de Groix en arrière-plan. Il m’est arrivé de faire des pêches, l’été, à 5h30 du matin. C’est encore la nuit noire, et la Laïta est à l’étal (instant où la marée passe de montante à descendante ou inversement). Pas une onde, c’est un miroir. Et là je passe entre les bateaux qui se reflètent parfaitement. Et je me dis que c’est fou cette vision, cette impression d’être désorientée et d’avoir presque le sentiment de se perdre au milieu des bateaux. Et puis j’arrive enfin sur les parcs à moules… C’est complètement magique ces instants-là.