MAG16 : Votre Nom est aujourd’hui associé à la Bretagne, pourtant vous êtes originaire du nord de la France, non ?
Claude Huart : Oui, je suis né dans l’Aisne d’une famille du nord de la France. Une petite Ville près de Valenciennes à Fresnes-sur-Escaut. C’est très proche de la frontière Belge. On pouvait aller en Belgique à pied. Mon père travaillait dans les chemins de Fer. Il a été nommé dans l’Aisne et je suis né là-bas. Pendant la guerre, Il est entré en résistance et a été déporté au camp de Compiègne où il est mort. Après cela, nous sommes retournés vivre chez mon grand-père à Fresnes-sur-Escaut. J’ai donc fait mes études au lycée de Valenciennes et ensuite à l’école des beaux-arts de Valenciennes.
MAG16 : Qu’est-ce qui vous amené à la peinture ? Il y avait des prédispositions dans la famille ?
Claude Huart : Non, il n’y avait même pas un dessin au mur. En réfléchissant bien, il y avait une petite peinture sur un bout de carton qui n’était même pas signée mais c’est tout. Par contre, j’aimais déjà beaucoup dessiner à 10 ans. J’avais un cousin lointain qui faisait de la peinture mais à partir de tableaux de peintres célèbres, qu’il vendait aux ingénieurs des mines. Il m’a donné un jour des tubes de peintures et c’est comme ça que j’ai commencé.
MAG16 : Et vous avez fait des études d’art ?
Claude Huart : J’ai passé le bac, comme tout le monde, ou presque. Il fallait que je fasse des études. Je connaissais à l’époque un inspecteur de l’enseignement primaire qui m’a conseillé de faire l’école normale d’instituteur. Il fallait passer le concours. Ce que j’ai fait. J’ai été reçu, mais avant d’obtenir un poste, j’ai dit que je ne voulais pas être instituteur. Je voulais être professeur de dessin. À l’époque, il fallait aller à Paris au lycée Claude Bernard qui faisait les préparations pour devenir professeur de dessin. Pour ma mère c’était un problème de m’envoyer à Paris. Alors j’ai décidé de gagner ma croûte et j’ai demandé un poste de maître d’internat, on disait pion. Mais pour avoir ce type de poste il fallait être inscrit en études supérieures. Je me suis donc inscrit à la faculté des lettres de Lille parce que c’était la poésie qui me plaisait le plus.
MAG16 : Comment le jeune nordiste que vous étiez est-il arrivé en Bretagne ?
Claude Huart : C’est grâce à mon service militaire. Il faut vous dire que J’ai traîné pour faire mon service puisque je l’ai fait à 27 ans. Étudiant, je donnais des cours de dessin à la fille d’un commandant de recrutement de Valenciennes. Sachant que je devais faire mon service, il m’avait conseillé de faire l’école d’officiers. Je l’ai écouté, j’ai passé l’examen, j’ai été reçu et j’ai été nommé à Saint-Cyr Coëtquidan. C’est comme ça que j’ai connu la Bretagne et que comme le disait mon ami Xavier Grall, je suis » Breton devenu « .
J’ai fait 28 mois de service pendant la guerre d’Algérie. Je ne suis pas parti en Algérie car mon père avait été déporté ce qui nous permettait d’être dispensés. Comme j’avais un diplôme de littérature étrangère, ils ont cru que je parlais plusieurs langues et donc on m’a nommé professeur pour les élèves officiers étrangers en provenance d’Amérique latine !
MAG16 : Et vous arriviez à continuer à peindre ?
Claude Huart : Oui, j’avais beaucoup de temps car les cours que je donnais avaient lieu principalement le soir. Le jour, je faisais de la peinture. D’ailleurs, juste avant de terminer mon service militaire, j’ai fait une exposition de peinture et de céramique à la bibliothèque de Saint-Cyr Coëtquidan. Et j’ai même vendu des œuvres.
C’est aussi pendant mon service que j’ai rencontré Robert Bourne, un copain agrégé de philosophie, qui connaissait un certain docteur Guyot, médecin de Clohars-Carnoët. Ce dernier débutait une collection d’œuvres réalisées par les peintres de l’école de Pont-Aven. Robert lui avait parlé de moi et il nous a invités régulièrement chez lui. Ainsi, tous les samedis nous venions à Clohars-Carnoët. J’ai fait ça pendant tout mon service. Et un jour Guyot m’a dit « cet après-midi, tu vas aller peindre ». On l’appelait « Napoléon » Guyot, car il commandait tout le temps. Mais je n’avais rien pour peindre. Il m’a déposé à Doëlan près du phare avec du matériel qu’il m’a fourni et il m’a dit qu’il viendrait me récupérer en fin d’après midi. C’est comme ça que j’ai commencé à peindre à Clohars. J’ai eu beaucoup de chance.
MAG16 : Et puis, vous créez l’école des Beaux-Arts de Lorient. Comment cela s’est-il passé ?
Claude Huart : D’abord, à la fin de mon service, il fallait que je trouve un emploi pour vivre. J’ai donc demandé un poste de professeur de dessin au rectorat. J’avais ciblé des postes dans le Finistère à Brest, Quimper ou Lorient. Pour moi tout était dans le Finistère ! Et j’ai eu Lorient, ce qui a permis au rectorat de m’écrire « je vous informe cependant que Lorient n’est pas dans le Finistère » ! À Lorient, j’ai rencontré un avocat qui s’intéressait à la peinture et qui m’avait encouragé à créer un cours de peinture le soir. Le problème, c’est que nous n’avions pas de local pour nous accueillir dans le centre de Lorient. Par contre, dans le quartier de Lanveur, il y avait une école primaire qui ne servait plus. Donc nous nous sommes installés dedans.
L’école a débuté comme ça. Au bout de deux ans, il a fallu prévenir les autorités. Donc je me suis rapproché de l’inspecteur général, qui était un ancien directeur de l’école des Gobelins. Il a trouvé notre action très bien et il m’a dit qu’on pourrait faire une école à temps complet puisqu’il n’y en avait pas dans le Morbihan. Au bout de 3 ans de cours du soir, j’ai été nommé directeur de l’école des beaux-arts, sans concours, pour service rendu par André Malraux, le ministre de la Culture.
MAG16 : Mais ce sont surtout vos talents de graveur sur bois qui font votre renommée, comment avez-vous choisi cette technique ?
Claude Huart : Je l’ai découverte au lycée de Valenciennes puisqu’un professeur nous faisait faire des gravures sur du linoléum. Nous faisions des copies de cartes à jouer du XVIIIe siècle. Et puis, avant d’arriver à Saint-Cyr Coëtquidan, j’ai fait un mois de classe à Épinal. Là-bas, lors de mon temps libre, je suis allé voir les fameuses images d’Épinal qui sont réalisées grâce à la gravure sur bois. Et je me suis dit que c’est ce que j’allais faire. J’ai commencé à graver le bestiaire d’Apollinaire. J’ai commencé à faire ça jusqu’à ce qu’un copain me dise que ça avait déjà été fait par Raoul Dufy. Je lui ai dit « Oh, alors je ne vais pas faire du tort à Dufy » (Rires). J’ai arrêté et je me suis mis à faire des paysages.
MAG16 : Pouvez-vous nous expliquer la technique de la gravure sur bois ?
Claude Huart : Je commence par faire mon dessin à l’endroit. Avec un papier-calque, je le retourne et je le reproduis à l’envers sur mon morceau de bois. Je fais mon dessin à la peinture acrylique donc ça ne s’effacera pas avec de l’essence. Ensuite, à l’aide d’outils qu’on appelle des gouges, je vais creuser le bois partout où j’ai peint du blanc sur mon tableau. Une fois cette partie creusée, je passe ma première couleur, le jaune par exemple, à l’aide d’un rouleau sur l’ensemble du morceau de bois. Je commence toujours par la couleur la plus claire du tableau pour aller à la plus foncée. Ensuite, grâce à une presse j’imprime sur des feuilles de papier. Ainsi, seules les parties creusées ne sont pas peintes. Elles resteront de la couleur du papier : blanche.
Une fois cette première couche passée, je laisse sécher les feuilles de papier.
Ensuite, je reprends mon morceau de bois que j’ai nettoyé et je creuse les parties qui sont de la couleur que je viens d’imprimer (N.D.L.R. : le jaune dans l’exemple) sur mon tableau. Je n’en ai plus besoin puisqu’il a déjà été imprimé. Ensuite, je passe ma deuxième couleur, et ainsi de suite, jusqu’à ce que j’ai toutes mes couleurs et que ma gravure soit terminée. C’est la technique du bois perdu, parce qu’une fois que j’ai fini, on ne peut plus rien faire du bois. Il ne reste plus qu’à le brûler.
Autrefois les graveurs faisaient autant de planches de bois que de couleurs. Il fallait donc couper les morceaux de bois à la même dimension, etc. Aujourd’hui, le bois que nous utilisons est recomposé, nous pouvons faire toutes les couches avec un seul morceau.
MAG16 : peut-on graver avec n’importe quel bois ?
Claude Huart : Oui, on peut graver avec n’importe quel bois. Mais celui utilisé traditionnellement par les graveurs est celui des arbres fruitiers : le pommier, le poirier, et le buis, un bois dur. Celui-ci était surtout utilisé par les graveurs, au XIXe siècle, qui travaillaient sur des documents médicaux par exemple ou des choses très précises comme la documentation mécanique.
Avant j’utilisais du pommier et du poirier, mais je n’en trouve plus donc j’utilise du bois recomposé aujourd’hui.
MAG16 : la gravure vous a permis de beaucoup voyager. Racontez-nous .
Claude Huart : Mes premiers voyages c’était en Belgique mais j’y allais à pied, donc ça ne compte pas ! Je suis beaucoup allé en Suisse pour exposer. J’ai rencontré en Bretagne un amateur d’arts qui m’a proposé de faire des expositions en Suisse. C’est ainsi, que j’ai exposé à Bâle chaque année pendant 20 ans. Mes expositions m’ont également amené en Allemagne, en Angleterre, au Portugal, en Espagne ou encore à New York. Je suis également allé enseigner la gravure dans les universités au Costa-Rica. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai appris à parler couramment « mal » l’espagnol ! Et puis, grâce à Louis Le Pensec, j’ai donné des cours de gravure sur bois à l’atelier Paul-Émile Victor à Bora-Bora. J’allais voir ce dernier très souvent sur son motu, c’est comme ça qu’on appelle les petits îlots de sable là-bas. C’était très sympa. J’ai beaucoup peint de paysages et de gens là-bas.
MAG16 : Vous peignez beaucoup de paysages, Pourquoi ?
Claude Huart : Écoutez, quand vous venez, comme moi, d’un pays minier où les paysages sont gris et plats, la découverte de la Bretagne, ses couleurs, ses paysages divers, vous donne envie de peindre !
MAG16 : Au point de vous installer ici ?
Claude Huart : Oui, grâce au docteur Guyot qui m’a beaucoup aidé, j’ai trouvé cette maison à Clohars-Carnoët que j’ai renovée avec l’aide de trois copains architectes. J’y venais l’été. Et lorsque j’ai terminé mon activité, je suis venu habiter ici. Ça fait 29 ans maintenant.
MAG16 : Vous trouvez encore de l’inspiration ?
Claude Huart : Oui je peins toujours car je ne suis pas mort ! L’inspiration, c’est quand on se décide à peindre, ça ne vient pas de la Sainte Vierge. Avec l’âge, je m’intéresse de plus en plus aux choses qui ne semblent pas très intéressantes pour un peintre. Je ne veux pas d’orphelin, tout doit être beau. Il faut se débrouiller même avec 3 pommes et un arbre. Et puis tout ça m’amuse.
MAG16 : Quel est votre lieu préféré sur le territoire ?
Claude Huart : C’est à Quimperlé, un endroit que je n’ai jamais peint mais que j’aimerais faire un jour. C’est en haut de la rue du Couëdic en regardant en direction du centre-ville de Quimperlé. Cet endroit offre une très belle vue sur le clocher de l’église Saint-Michel. À chaque fois je me demande comment m’y installer pour peindre. Je pense que je vais travailler à partir d’une photo et je ferai une gravure de ça.