Christine Le Poulichet

Lauréate du trophée de l’intercommunalité dans la catégorie culture, au mois janvier dernier, Christine Le Poulichet a été récompensée pour son engagement et sa persévérance en faveur de la sauvegarde d’un savoir-faire particulier : celui du repassage de coiffes et cols de l’Aven, éléments incontournables de la culture et du patrimoine breton.

MAG16 : Comment avez-vous découvert le repassage de coiffe ?

Christine Le Poulichet : J’ai eu la chance d’avoir une grand-mère qui a porté son costume toute sa vie. Donc, je l’ai toujours connue en coiffe que ce soit lors de ses sorties ou à la maison. La voir s’habiller a toujours été pour moi un cérémonial important, d’autant plus avec mes yeux de petite fille. C’est quelqu’un que j’adorais, avec qui j’avais une relation très particulière. À cette époque-là, il y avait des repasseuses à tous les coins de rue. C’était un savoir-faire qui était très souvent transmis de mère en fille.

MAG16 : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer ?

Christine Le Poulichet : J’ai grandi, j’ai dansé dans plusieurs cercles avant d’intégrer celui de Quimperlé. Puis un soir de représentation à la fin des années quatre-vingt-dix, lors d’une représentation place Saint-Michel, une espèce de brume humide nous a obligés à rentrer très vite.
L’humidité est l’ennemi numéro un des coiffes ! C’est là, sous le coup de la colère, que je me suis dit qu’il fallait que je sache me débrouiller toute seule. Et je m’y suis mise.

MAG16 : Comment avez-vous procédé ?

Christine Le Poulichet : J’ai pris contact avec les collectionneurs du coin qui m’ont orienté vers Madame Derrien à Querrien. Je suis allée la voir plusieurs fois et, j’ai attrapé le virus. J’ai commencé, comme je pouvais, avec les renseignements et les techniques qu’elle m’avait transmis mais je n’arrivais pas à faire ce que je voulais. Du coup, j’ai pris contact avec Madame Greval à Saint-Yvi qui m’a donné toutes ses techniques, ses astuces… car le repassage de coiffe, c’est un tas de petits détails qui ont chacun leur importance.

MAG16 : Comment se passe l’apprentissage ?

Christine Le Poulichet : C’est complètement informel ! J’allais la voir de temps en temps et puis je m’exerçais chez moi. Quand on commence ce genre de métier, il y a tellement de petits détails à retenir que c’est compliqué de ne rien oublier. Et puis, l’objectif est de trouver sa propre manière de faire. Il y a la base bien sûr, mais chaque repasseuse apporte sa touche, sa manière de faire en fonction de ses capacités.
Il y a des choses qu’on m’a enseignées avec lesquelles je n’étais pas très à l’aise, donc j’ai cherché, j’ai recommencé et recommencé et recommencé, jusqu’à ce que je trouve une manière de faire qui me satisfasse en fait.

MAG16 : Justement, comment repasse-t-on une coiffe ?

Christine Le Poulichet : L’élément de base est l’amidon. Chaque repasseuse a sa propre recette mais le principe est de mettre de l’amidon sur le tissu pour qu’il s’imprègne bien de manière à ce que, quand nous repassons, l’amidon durcisse et devienne rigide comme du carton. Pour les cols, nous effectuons un peu la même chose sauf que nous utilisons des pailles.

MAG16 : Les cols sont une spécificité de terroir de l’Aven, pouvez-vous nous l’expliquer ?

Christine Le Poulichet : Les cols sont fabriqués par une couturière qui va monter de très petits plis qui mesurent entre 0,8 mm et 1 mm de large. Pour mettre en forme tous ces plis lors du repassage, nous utilisons des pailles que nous glissons dessus-dessous pour former une sorte de godron. Pour repasser un col, il faut placer entre 500 et 600 pailles ! Ce qui est assez long. Pour faire un col et une coiffe, car ici l’un ne va pas sans l’autre, il faut 8 heures.

MAG16 : Le col est particulièrement difficile à repasser n’est-ce-pas ?

Christine Le Poulichet : Les cols sont relevés. Lorsqu’on a enlevé les pailles, il faut « tourner » le col, c’est-à-dire lui donner sa forme arrondie.
Cette opération est la plus délicate car si elle est loupée, il faut tout relaver et recommencer. Pour tourner le col, on le place à la rosée le matin pour qu’il prenne un peu d’humidité, ce qui permet de ramollir l’amidon. Le col devient donc plus malléable et nous pouvons le « tourner» grâce à un coup de fer. C’est cette opération la plus difficile à apprendre car il faut maîtriser son angoisse de rater et en même temps maîtriser le coup de main.
Chaque repasseuse a le sien. Moi ce que j’ai reçu, je l’ai transformé pour être plus à l’aise dans la technique. J’ai transmis ma technique quelqu’un qui l’a adapté aussi pour se l’approprier. L’appropriation est nécessaire car c’est la signature propre de la repasseuse.

MAG16 : Vous trouvez facilement de la paille ?

Christine Le Poulichet : Oui, nous la trouvons dans la nature. Nous faisons notre moisson après les premières gelées car il faut que la sève descende. Si nous la coupons avant, la paille dégorge dans les cols et ils deviennent verts !

MAG16 : Depuis les années 50, la coiffe est de moins en moins portée, pour qui repasse-t-on aujourd’hui ?

Christine Le Poulichet : Pour les cercles, ce qui représente entre 250 et 300 panoplies par an dans l’Aven où il y a 11 groupes.

MAG16 : Vous vous êtes battue pour que le métier de repasseuse soit reconnu, expliquez nous ce combat ?

Christine Le Poulichet : Ce qui nous a poussées, c’est qu’il y avait une économie derrière le repassage de coiffe. Nous étions payées de la main à la main mais nous n’avions aucune reconnaissance de notre métier ! Nous nous sommes dit que ce n’était pas normal de ne pas vivre de notre travail. Nous n’avions pas de sécurité sociale, pas de retraite, J’ai quand même perdu 10 ans de cotisations parce que ce combat nous a pris ce temps là !
Pour ne pas perdre le savoir-faire, il fallait aussi donner envie à d’autres de faire ce métier. Mais sans statut, le métier n’existait pas.
À l’époque, je donnais des cours loisirs de danse bretonne. Au hasard de ces cours j’ai rencontré Claude Jaffré, vice-président au Conseil départemental. J’ai pu lui expliquer notre situation. Suite à cette discussion, nous avons exposé la problématique aux cercles. Mais, pour eux, il était impossible de financer des emplois notamment à cause des cotisations. L’idée a donc été de faire en sorte que la région, le département et les communes prennent en charge une partie des cotisations pour aider les cercles à financer les emplois. Claude Jaffré en a parlé au Président de la Cocopaq, qui était Michaël Quernez à l’époque, et qui a soutenu le projet. C’est comme cela que notre métier a été reconnu. Aujourd’hui, c’est la fédération War’l Leur qui emploie la repasseuse.

MAG16 : Mais après ce combat, vous avez été obligé de stopper cette activité, pourquoi ?

Christine Le Poulichet : J’ai eu des problèmes de santé qui m’ont contraint d’arrêter le métier car il était devenu trop difficile physiquement pour moi. Entre les gestes répétitifs, et la position de travail qui engendre des tensions musculaires, ce n’était plus possible. il a fallu se résoudre à faire autre chose. J’ai arrêté en 2017.

MAG16 : Vous avez alors transmis votre savoir-faire, était-ce important pour vous ?

Christine Le Poulichet : Oui, à l’issue de mon arrêt de travail, j’ai commencé à former une repasseuse, Charlène Francès, dans les mêmes conditions que moi à l’époque. Il n’y a pas de manuel, de livre. Nous sommes vraiment dans la tradition de la culture bretonne qui repose sur la transmission orale. Je la forme en lui montrant les gestes, en répondant à ses questions, en l’accompagnant dès qu’elle en a besoin. Aujourd’hui encore, je reste disponible pour elle. Tout se passe très bien. Je n’en doutais pas une seconde car je me souviens que lorsque j’ai commencé à repasser, elle dansait au cercle de Riec-sur-Bélon.
Elle devait avoir 10 ou 12 ans et elle m’avait déjà demandé à l’époque si je pouvais lui apprendre. Son intérêt ne date pas d’hier !

MAG16 : Le fait d’être une des dernières à avoir ce savoir-faire, vous vous sentiez investie d’une mission de transmission ?

Christine Le Poulichet : Je ne dirais pas investie. C’était une évidence, c’était normal. Si je n’avais pas pu transmettre ce savoir-faire à quelqu’un d’autre, j’aurais eu le sentiment de ne pas être allée jusqu’au bout. Mais, peut-être que je l’aurai écrit. J’aurais trouvé un moyen de laisser une trace quelque part. J’ai reçu quelque chose de précieux, qui nous identifie vraiment.

MAG16 : Ça ne vous manque pas ?

Christine Le Poulichet : Je ne sais pas. Je ne regrette pas la pression de l’exigence et des délais qu’il y a autour du repassage. Mais la broderie, les
dentelles, le relationnel c’est quelque chose que j’ai beaucoup aimé… je ne sais pas trop définir ce que je ressens. Oui et non.
Mais avec Charlène on s’appelle régulièrement, je continue à répondre à ses questions donc je n’en suis pas encore totalement sortie. J’ai 56 ans, j’ai dû refaire une formation, une vraie cette fois avec des cours, des examens pour devenir réflexologue plantaire. Je suis passé de quelque chose qui m’a passionné à quelque chose qui me passionne maintenant. Le manque est moins important. Si je n’avais pas eu d’activité derrière, j’aurais sans doute eu plus de regrets.

MAG16 : Quel est votre souvenir le plus marquant sur le territoire ?

Christine Le Poulichet : Il est récent. Le jour où on m’a annoncé que j’allais obtenir le trophée de l’intercommunalité. Ce travail est vraiment un travail de l’ombre. Nous faisons ce que personne ne voit. Alors, ce genre de mise en lumière est compliquée pour moi. Mais je l’ai reçue comme un accomplissement, une reconnaissance du travail qui a été fait. Pas forcément pour moi car je suis loin d’être la seule. Nous avons mené ce combat à deux, nous avons reçu le soutien de Claude Jaffré, Michaël Quernez, Nicolas Morvan, des cercles, de la fédération War’l Leur. C’est une récompense collective.

MAG16 : Quel est votre lieu préféré ?
Christine Le Poulichet : J’aime beaucoup le manoir de Kernault et l’ambiance qui se dégage de ce lieu. J’aime aussi beaucoup la forêt de Toulfouën pour la sérénité qu’elle amène. Ce sont deux endroits qui permettent de se recentrer, où je vais quand j’ai besoin de souffler.

Votre navigateur est dépassé !

Mettez à jour votre navigateur pour voir ce site internet correctement. Mettre à jour mon navigateur

×