Vous êtes d’origine Hongroise, mais vous avez beaucoup voyagé au cours de votre vie, racontez-nous ?
Anita Doron : Je suis née en Ukraine à l’époque où c’était encore l’Union soviétique mais je suis d’origine hongroise. C’était une époque un peu compliquée car les frontières ont souvent changé. Mon Grand-père, par exemple, a habité dans 5 pays sans jamais avoir bougé.
Combien de temps avez-vous vécu là-bas ?
Anita Doron : Jusqu’à mes 16 ans. Dans les années 90 la situation a empiré et mes parents ont décidé de partir en Israël. C’était une décision assez soudaine mais importante pour ma mère qui voulait offrir un meilleur futur à sa fille. Elle pensait qu’il n’y avait pas d’avenir dans mon pays. Nous sommes partis avec seulement trois sacs à dos. Nous avons tout perdu même les sacs à dos pendant le voyage. C’était une super façon de commencer une nouvelle vie. En anglais on dit « No bagage », nous sommes vraiment partis comme ça.
Et en Israël, Qu’avez-vous fait ?
Anita Doron : Comme si la vie sous le régime communiste ne nous avait pas suffi nous avons vécu 5 ans dans un kibboutz (rires). J’ai fait l’armée en Israël. Et là-bas, il est dans la tradition de faire un voyage lorsqu’on termine l’armée. Je suis donc partie au Canada où je suis tombée amoureuse. J’ai fait mes études de cinéma là-bas et je suis restée 20 ans à Toronto. Je me sens donc Canadienne. C’est l’identité qui m’a le plus marquée.
Qu’est-ce qui vous a amené à faire du cinéma ?
Anita Doron : Lorsque j’avais 12 ans, j’ai remarqué que la rivière qui traversait notre ville était polluée par les usines, les hôpitaux, etc. À l’époque, j’avais une copine dont le père possédait une caméra 8 millimètres. Je lui ai proposé de faire un petit film documentaire pour découvrir les origines de la pollution de la rivière. Elle a accepté et son père nous a prêté la caméra. C’est comme ça que nous avons commencé à filmer. Mais personne ne voulait nous parler à part quelques ivrognes qui nous racontaient qu’enfant ils pouvaient se baigner dans la rivière. Au cours de notre reportage, nous avons réussi à filmer les entreprises jetant leurs poubelles directement dans la rivière. Jusqu’au jour où nous avons été appelées à la mairie. J’ai pris un petit enregistreur de voix pour faire une interview, j’étais super contente. Mais lorsque nous sommes arrivées dans les locaux, on nous a dit que si nous continuions à faire notre petit film, nos parents allaient perdre leur travail. Nos parents, courageux, nous ont dit de continuer. Ma mère avait compris que c’était la fin de l’Union soviétique et qu’ils ne pouvaient rien faire contre nous. Nous avons continué mais lorsque nous avons récupéré notre film au laboratoire de développe-ment, il était tout blanc. Je ne pense pas que nous ayons subi un sabotage car ils n’étaient pas suffisamment organisés pour ça. Je pense plutôt que nous avions fait des erreurs en utilisant la caméra. En tout cas, cette expérience m’a montré le pouvoir du cinéma. Grâce à ce média, deux enfants de 12 ans avaient pu faire peur à une mairie.
Comment êtes-vous arrivée à Querrien ?
Anita Doron : Je suis arrivée ici par hasard. J’avais un projet de BD avec une scientifique américaine qui voulait faire découvrir le microbiome au grand public. J’écrivais l’histoire et son mari dessinait. Elle était à Paris pour un an mais elle avait une maison à Querrien. Nous nous y sommes installés pour 10 mois afin de travailler au calme. De mon côté, j’avais un petit garçon de 2 ans et demi et je me suis dit que c’était mieux de l’élever ici dans un lieu tranquille. Et puis, nous sommes tombés amoureux de la Bretagne. Il a commencé à parler en français, à aller à l’école,… Aujourd’hui, c’est la langue française qu’il maîtrise le mieux même s’il parle aussi anglais et hongrois. Pour lui c’est mieux d’être ici et moi mon travail d’écriture peut se faire n’importe où. Le projet de départ devait durer 10 mois et nous sommes ici depuis presque 5 ans.
Aujourd’hui vous êtes scénariste et réalisatrice, mais vous avez commencé par la poésie, quel a été votre cheminement ?
Anita Doron : Petite, j’écrivais des poèmes. En Union soviétique à l’époque c’était un choix normal, c’était un métier comme un autre. Ce n’est plus le cas au-jourd’hui. Je pensais que ça allait être mon métier. Avec le temps, mon projet s’est transformé un peu avec le visuel. Mais le cinéma c’est aussi une forme de poésie.
Comment le passage entre l’écriture et la volonté de réaliser le film s’est-il fait ?
Anita Doron : Quand j’ai commencé mes études à Toronto, c’était clair, je voulais réaliser des films pour travailler avec des acteurs, des metteurs en scène, des ingénieurs du son, … On va dire qu’avant le film Parvana, j’étais plutôt réalisatrice.
Le film Parvana, dont vous avez écrit le scénario a été salué par la critique, comment est né ce projet ?
Anita Doron : À la base, c’est la journaliste ca-nadienne Deborah Ellis qui a écrit une histoire à partir des témoignages qu’elle a recueillie dans un camp de réfugiés en Afghanistan. Une maison de production canadienne a acheté les droits de son livre et m’a demandée d’adapter l’histoire pour le cinéma avec comme consigne de la rendre plus visuelle.
Le fil a connu un véritable succès puisqu’il a même été sélectionné pour les Oscars aux États-Unis. Qu’est-ce que cette sélection vous a amené ?
Anita Doron : Je suis très contente car la nomina-tion aux Oscars a permis d’attirer un public plus large à voir le film. Il y a beaucoup de films qui sortent et ce n’est pas toujours facile d’être vu. Nous avons aussi bénéficié du fait qu’Angelina Joly (N.D.L.R. : elle est productrice du film) soit vrai-ment impliquée dans la promotion.
Et pour vous qu’est-ce que ça a changé ?
Anita Doron : Je suis passée dans un autre monde ! J’ai été contactée par les plus grands studios. Aujourd’hui, je travaille sur des films qui doivent plaire à un public large. Ce n’est pas naturellement mon habitude mais ça m’intéresse car j’ai apprécié de toucher beaucoup de monde avec Parvana.
Vous n’allez pas perdre un peu de votre liberté dans l’écriture ?
Anita Doron : Oui, il y a un peu plus de contraintes, mais même avec les limites, tu peux jouer, expérimenter. Ça peut être bien.
Le fait que ce soit un film d’animation le rend accessible à un public plus jeune, ça demande une écriture particulière ?
Anita Doron : Les jeunes peuvent le voir mais pas trop jeune non plus parce que le sujet reste très dur. Je n’adapte pas forcément mon écriture au public, car j’ai toujours eu un rapport très honnête avec les enfants. Je trouve qu’ils sont beaucoup plus capables de comprendre des choses complexes que ce que l’on pense. Ils ont une maturité émotionnelle même s’ils n’arrivent pas toujours à l’exprimer. Ils ont énormément d’empathie. Bien sûr, il y a un moment où je cache la violence mais elle reste présente. Les enfants peuvent le comprendre mais je ne voulais pas la montrer parce que ça n’ajoute rien.
Comment fait-on pour se mettre dans la tête d’une petite afghane quand on vit ici en Bretagne ?
Anita Doron : Je suis un peu comme les acteurs, lorsque j’écris j’incarne le personnage. C’est assez facile pour moi. Le film que j’ai fait avant parlait d’un jeune garçon indigène qui habite le nord du canada. Comme pour Parvana, c’est un personnage qui était loin de moi, mais il était poète et aimait la musique métal. Deux choses qui me rapprochaient de lui. À la base, nous sommes tous humain, notre culture a été inventée. Je me sens beaucoup plus proche d’un personnage comme lui que d’un Hongrois qui vote pour un président fasciste. C’est la même chose avec une petite afghane qui a peur, qui adore sa mère, qui est frustrée par les circonstances. Elle est courageuse et elle veut protéger sa famille. Je trouve ça facile de comprendre une personne comme ça. Après, pour ce qui est de son environnement, de ses habits, de sa culture, je fais des recherches, j’ai un consultant en Afghanistan qui m’a beaucoup aidé. Mais ce ne sont que des détails, l’essentiel, ce sont les émotions qu’on partage. Si je n’écris que sur les choses que je connais, ça va être très limité et ennuyant.
Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez en ce moment ?
Anita Doron : Je termine un scénario pour un film d’animation qui sera réalisé par la même équipe que Parvana. L’histoire sera plus fantaisiste. Je dois également rendre un scénario dans les prochains jours pour un dessin animé qui se passe dans les années 80. Ce sont encore des adolescents. J’adore écrire sur les ados. C’est un moment de la vie où tout est très fort et intéressant.
Il y a une forme de pression dans l’écriture, vous n’avez pas peur de la feuille blanche ?
Anita Doron : J’adore cette pression. Elle m’aide à écrire. J’adore mon travail. Je me sens chanceuse de pouvoir le faire même lorsqu’il y en a beau-coup et que ça semble impossible de tout faire. C’est une énorme chance.
Qu’est-ce qui vous plaît sur ce territoire ?
Anita Doron : D’abord ce sont les gens qui sont sympas, ouverts, plein d’humour. Au début j’ai été un peu surprise par l’humour français qui est différent du hongrois ou du Canadien. Mais lorsque je l’ai compris, j’ai adoré. Je me sens bien aussi, ici, parce que j’habite une terre un peu féerique. La beauté des paysages, les couleurs, les maisons de pierre c’est tellement différent de tout ce que j’ai vu avant. Et puis j’aime l’idée du bout de la terre avec le Finistère. Je trouve que c’est un territoire idéal pour écrire ! Et idéal pour grandir.
Vous avez un projet de résidence d’artistes à Querrien, pouvez-vous nous en parler ?
Anita Doron : J’ai un grand rêve, celui de créer une résidence d’artistes à Querrien. J’ai compris que c’est un endroit idéal pour faire venir les gens. Je connais pas mal de monde car je suis impliquée dans les conférences TED. Ce sont des gens qui font des choses difficiles mais très importantes pour le monde. Des scientifiques qui travaillent dur. Et c’est important qu’ils aient un endroit pour se régénérer. Je veux faire une collaboration avec Querrien car il y a plein d’artistes ici, de gens inté-ressants et j’ai envie de créer des mélanges.
Quel est votre lieu préféré sur le territoire ?
Anita Doron : La fontaine de la Clarté à Querrien où je vais souvent trouver l’inspiration. J’adore aussi aller au bord de mer où l’on peut trouver des ambiances calmes ou plus dramatiques.